L'établissement de soins ou le praticien ont une obligation légale de conserver le dossier médical.
En établissement, le dossier médical est conservé pendant vingt ans à compter de la date du dernier séjour de son titulaire dans l'établissement ou de la dernière consultation externe en son sein. Si la durée de conservation d’un dossier s’achève avant le vingt-huitième anniversaire de son titulaire, elle est prorogée jusqu’à cette date. En cas de décès moins de dix ans après le dernier passage dans l’établissement, le dossier est alors conservé pendant dix ans à compter de la date du décès.
Pour un professionnel de santé exerçant à titre libéral, il n'existe pas de texte imposant un durée de conservation. Il est d’usage de conserver les dossiers pendant la durée correspondant à la prescription de l’action en responsabilité civile, désormais fixée à dix ans à compter de la consolidation du dommage. Cette notion de consolidation étant imprécise, le Conseil national de l'Ordre des Médecins préconise une conservation pendant 30 ans.
Ces délais sont suspendus par l'introduction de tout recours gracieux ou contentieux tendant à mettre en cause la responsabilité médicale de l'établissement de santé ou de professionnels de santé à raison de leurs interventions au sein de l'établissement.
Dans certaines situations ce dossier médical est introuvable (incendie, déménagement, disparition…).
Quelles en sont les conséquences ?
Rappelons que lors d'une action en responsabilité, c'est au patient d'apporter la preuve d'une faute commise par le praticien et/ou l'établissement. Sans son dossier médical, l'expertise que mettra en place la Juridiction ou la Commission sera nécessairement entravée, et le patient aura bien des difficultés à prouver cette faute.
La jurisprudence semblait considérer que la perte du dossier médical constituait une perte de chance pour le patient d'obtenir réparation des dommages liés aux soins.
L'appréciation de cette perte de chance était effectuée au cas par cas en fonction de la nature du dossier et si des éléments pouvaient laisser à penser qu'une faute avait pu être commise ou qu'une responsabilité sans faute pouvait être engagée.
Une première évolution était apparue le 14 avril 2016, lorsque la Cour avait rejeté le pourvoi formé, au motif que « En l’absence de faute imputée au gynécologue dans la conservation du dossier médical, seule de nature à inverser la charge de la preuve, la cour d’appel a pu, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, déduire de ses constatations que l’existence d’une faute du praticien n’était pas établie ».
Dans le cas particulier où le dossier est incomplet, soit que certains éléments aient été perdus, soit que le dossier n’ait pas été parfaitement complété, la Cour admet donc qu’il soit possible d’inverser la charge traditionnelle de la preuve en la faisant peser, non sur le patient qui sollicite une indemnisation, mais sur le professionnel de santé.
La Cour de cassation posait néanmoins une condition : il faut qu’une faute soit retenue à l’encontre du professionnel de santé dans la conservation du dossier médical. Dans ce cas seulement, c’est à lui d’apporter la preuve que sa prise en charge est exempte de critique. En revanche, si, comme c’était le cas dans l'affaire du 14 avril 2016, aucune faute n’est rapportée dans la conservation du dossier (la Cour d’appel ayant bien relevé que le praticien exerçant en établissement ne pouvait être tenu pour responsable de la perte du dossier, seul l’établissement devant en répondre), c’est alors au patient d’apporter la preuve d’une éventuelle faute du praticien, comme à l’accoutumée.
Dans un arrêt du 26 septembre 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation va plus loin et retient que la perte du dossier médical par un professionnel ou établissement de santé conduit à inverser la charge de la preuve et lui impose de démontrer que les soins prodigués au patient ont été appropriés.
La Haute juridiction rappelle :
"ayant relevé que la polyclinique avait perdu le dossier médical de Mme Y... et n’était pas en mesure d’apporter la preuve qu’aucune faute n’avait été commise lors de l’accouchement, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que l’ONIAM était fondé à exercer un recours subrogatoire à l’encontre de cet établissement de santé et de l’assureur ; que, compte tenu des conditions d’exercice du praticien dont les actes étaient critiqués, elle a justement énoncé que la faute imputable à la polyclinique avait fait perdre à l’intéressée la chance d’obtenir la réparation de son dommage corporel qu’elle a souverainement évaluée à hauteur de 75 % des préjudices en résultant ;"
La Cour de cassation (Civ. 1ère du 26 septembre 2018 n°17-20.143) considère : « une telle perte, qui caractérise un défaut d’organisation et de fonctionnement, place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux information de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge ; que dès lors, elle conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés ».
La Cour de cassation confirme donc l'arrêt de la d’appel d’Aix-en-Provence, qui a condamné la polyclinique à rembourser les sommes versées à la patiente par l’ONIAM à hauteur de 75 % au titre de la perte de chance subie par celle-ci jugeant que même si l’acte avait été réalisé par un praticien exerçant à titre libéral, la responsabilité de l’établissement était engagée sur la base de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique car la perte du dossier médical constituait une faute de la polyclinique dans l’organisation des soins qui empêchait de déterminer si lesdits soins avaient été conformes aux règles de l’art.